Le nombre 135 est la synthèse la plus brève et la plus expressive des contours de l’intelligence française. Vous serez surpris de voir ce qui se cache derrière ces trois chiffres. 135 c’est très exactement le montant en euros de l’amende encourue si vous ne respectiez pas les consignes du temps de confinement. Ce nombre a un sens caché, ou plutôt un sens subliminal.

Pour une amende, 50, 100, ou 150 euros semblaient tomber sous le sens. Bien trop simple ! Ce choix de 135 euros, nombre sorti de nulle part, cristallise à merveille l’approche conceptuelle française. Celle qui imprègne, depuis près de 50 ans, tous les cerveaux de la sphère publique.

Pour trouver l’explication de cette néfaste curiosité, il faut chercher du coté de ceux qui conseillent le Prince, c’est à dire le Président de la République. Le Prince a toujours l’angoisse de perdre le pouvoir dont la conquête l’a obsédé. Le meilleur moyen de le garder est de ne pas commettre de bourdes, où à le dissimuler s’il en commet malgré tout. A cette fin le Prince s’entoure de conseillers. Pas n’importe lesquels. Il veut les plus brillants et les plus malins. Or un conseiller malin sait qu’il n’est pas là pour simplifier : tout au contraire il tient son influence de l ‘exposé de la complexité de chaque situation.

D’où la règle n°1, un conseiller crée de la complexité, même là où il n’y en a pas, car ce faisant il magnifie le Prince qui doit trancher dans cette complexité, si bien analysée par le conseiller. Que le prince souvent ne soupçonnait même pas.

Cette option délibérée et quasi philosophique, explique pourquoi les dirigeants des autres pays ont autant de mal à comprendre notre refus devant l’obstacle, et notre goût pour les stratégies d’évitement. Nos influenceurs préfèrent reconstruire le réel, pour qu’il s’accorde avec les visions complexes qu’ils ont plaisir à échafauder. Les exemples de solutions logiques, efficaces car simples, sont légion chez nos voisins européens.

Règle n° 2 : la complexité est sélective. Elle écarte les pragmatiques et renvoie le bon sens dans le placard des idées frustres. Elle réduit au plus petit nombre les conseillers potentiels, qui forment un club d’élus, parfaitement en phase, sans même avoir à se concerter. Depuis des dizaines d’années, ils se nomment Raymond, Alain, Jacques… et ont accès aux heures tardives et discrètes, celles de leur avis magistral.

On peut affirmer que Giscard d’Estaing a été le premier représentant de cette école, car il était sur ce plan primus inter pares. Aucun conseiller ne pouvait le challenger en terme d’excellence. Il se fit d’ailleurs une spécialité de traduire, à sa manière, la complexité en petites leçons de simplicité sur paper board. Avec les successeurs de Giscard, les conseillers ont intellectuellement dominé le Prince, en ayant la courtoisie de lui laisser toujours la signature au bas de la décision.

Règle n° 3 : la complexité se construit d’elle même. Dès l’instant où le postulat de départ est que si la question est simple, c’est qu’elle n’est pas bien posée, vous ouvrez systématiquement un appel d’air, un appel d’offres pour la rendre complexe ! Qui accouche au final de 135, et surtout pas de 130, encore moins de 100, qui serait presque trivial. Nous sommes aux antipodes de la vie quotidienne de l’entreprise qui en recherchant l’option la plus efficace, aboutit la plupart du temps sur la solution la plus simple : un croquis vaut mieux qu’un long discours. Le choix délibéré de la solution 135 est d’autant plus facile qu’il est indépendant de toute sanction dans le temps. Dans la sphère publique , le seul risque réel encouru, est que d’autres atteignent avant vous les échelons décisifs. Et il y a largement assez de postes pour tempérer les déceptions de ceux qui n’atteignent pas la toute dernière marche.

Règle n°4 : la complexité devient virale. Dans la sphère décisionnelle publique, une fois que vous avez compris les effets valorisants de la complexité, la méthode ruisselle jusqu’aux échelons les plus simples de la hiérarchie. Le fait que des tâches et des missions ne servent strictement à rien, au niveau du bénéfice rendu, n’a plus vraiment d’importance. La stupéfaction des français devant l’ineptie n’a pas d’autre origine que l’auto-satisfaction de la sphère publique. Si un président de région parvient à dégonfler de 15 % les frais de structure, cela laisse deviner à quel niveau d’invraisemblances ils étaient parvenus. En ce moment de CoVID 19, une très grosse collectivité territoriale a décidé de consacrer une toute petite enveloppe de 200.000 euros pour soutenir les associations, par saupoudrage de 500 à 3.000 euros. Les conditions à remplir et l’énergie consacrée pour entrer dans les clous de l’éligibilité sont telles qu’il serait épuisant d’y répondre. Cela se nomme tout bonnement du travail artificiel sans aucune valeur ajoutée, mais qui sert l’image de celui qui l’a si généreusement initiée.

Règle n° 5 : La sécurité d’en haut crée l’usine à gaz du bas Dès lors que dans la sphère publique, vous avez accès à des jobs garantis à vie, la simplicité n’est plus un critère pertinent. Dans la partie haute du triangle décisionnel, on apprécie particulièrement ceux qui savent extraire de l’inextricable magma administratif un angle d’attaque. Ce qui leur donne aussitôt la liberté d’en rajouter une couche, sous les applaudissements forcés de leurs rivaux. Puisqu’il n’y aucun risque à étudier le problème, tout le monde se jette dessus, en créant des comités, des cellules, des délégations, et même des hauts-commissaires. L’usine à gaz ne peut plus reconnaître son propre père, puisque tout le monde dit avoir participé à la fécondation. Le 5 de 135 c’est moi !

Règle n° 6 : Plus la société civile performe en simplicité, plus la sphère publique en détruit le bénéfice . Elle est par nature schizophrène, car elle sait qu’elle doit sa survie à la performance des entreprises, tout en bridant et récupérant cette performance sous forme de taxes et de normes. Si vous laissez à une entreprise l’euro de résultat qu’elle a produit, elle l’utilisera pour pouvoir en générer 2. Si vous laissez la sphère publique prélever la moitié de cet euro, elle en consommera 50 % pour elle même, il n’en restera donc qu’un quart pour le bien commun, et vous aurez perdu toute chance d’en avoir 2. Il est désormais établi que l’amélioration générale du niveau de vie dépend avant tout du moins d’état. Soit l’exact contraire de la préférence française. Le Covid 19 prouve que le foisonnement des initiatives individuelles, est un révélateur extraordinaire des potentialités, malgré la glaise administrative qui s’accroche désespérément au maintien de l’usine à gaz. Dans un pays qui en temps normal était déjà quasi hors course pour les raisons citées, la crise va accroître le pouvoir de tous ceux qui ont choisi la sphère publique pour l’immunité qu’elle garantit. La production de bâtons dans les roues va exploser !

Et c’est ainsi qu’aucune recherche ne sera entreprise pour trouver l’antidote au poison 135….

A diffuser sans modération….